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vendredi 7 juillet 2017

Autant en emporte le Vent : Réponse ouverte au youtubeur Durendal

Bonjour, cher ami

Petite précision : comme je l'ai dit dans l'un des commentaires à propos de ton épisode 50, je ne suis pas spécialiste des techniques cinématographiques. J'ai dût tourner dans ma vie une dizaine de vidéos, toutes de plus mauvaises qualités techniques les unes que les autres, et je ne peux m'enorgueillir de connaître quelques termes du métier que j'ai pécho par-ci par-là sur internet ou ailleurs.

Je ne suis que ce qu'il est convenu d'appeler un spectateur, un amateur de cinéma.

J'adore tes vidéos et celles du fossoyeur (notamment j'ai particulièrement apprécié ta critique de Twilight !) et selon l'adage, on sait que qui aime c...ontredit bien.

Je vais donc discuter uniquement du point de vue scénaristique à propos de ta critique d'Autant en emporte le Vent


(Je laisse le soin aux lecteurs de trouver par eux-mêmes la dernière partie, le moteur de recherche de Youtube sera votre ami.)

Pour commencer, je suis parfaitement d'accord avec ce que tu dis en intro, au cours de l'extrait (5e mn à peu près) : Autant en Emporte le Vent n'est PAS une histoire d'amour. C'est une parfaite idiotie de croire que c'est un film romantique, ou une histoire d'amour.

AELV (je vais abréger ainsi pour aller plus vite), est l'histoire d'un traumatisme. Il se sert d'un personnage : Scarlett O'hara, pour montrer qu'en grandissant, on s'aperçoit que la vie est une défaite, car elle ne nous apporte jamais ce que nous désirons.

Accrochez-vous, amis lecteurs qui passez par là par hasard, parce que ça devient philosophique, j'ouvre ici une longue une parenthèse : Si vous n'aimez pas la réflexion morale ou éthique, vous pouvez passer votre chemin. Sinon, bienvenue. Poursuivons.

Avant de se demander si le sens de la vie c'est de répondre à nos désirs, une question plus importante se pose :

Que nous désirons ?

Pour certains, la célébrité, pour d'autre, la richesse, pour d'autres, se marier avec l'être aimé (c'est le cas de cette pauvre Scarlett). Mais ces différents désirs peuvent être résumer par les mots de Nietzsche : la volonté de puissance.

Tout désir, en fin de compte, se ramène à celui d'avoir le puissance de réaliser nos désirs. Le succès social - quel que soit la forme qu'il prend, richesse, célébrité, etc. -

Et ce film est parfaitement anti-niezschéen 😁. Il démolit le fantasme de la volonté de puissance qui sommeille en nous.

Je vais spoiler directement : inutile d'attendre la fin de votre lecture et, si vous n'avez pas vu ce film et que vous ne voulez pas le voir, alors voici le dénouement : Scarlett O'hara n'obtiendra jamais ce qu'elle désire tout au long du film : à savoir : vivre en couple avec le bel Ashley.

L'histoire est à l'origine bien sûr celui du roman de Margaret Mitchell, femme sudiste ayant vécu bien après la guerre de Sécession, mais qui en a vu les conséquences. Dès lors, il est logique que le film soit pro-sudiste, et qu'il montre le point de vue du vaincu.

En quoi cela est-il scandaleux pour autant ? Il s'agit certes d'une apologie d'une civilisation reposant sur l'esclavage, et nous sommes, aujourd'hui, tout plus ou moins conditionnés pour être indignés et révoltés contre l'esclavage. Moi pas plus qu'un autre ne souhaite revenir à une époque où nous asservissions les noirs dans les plantations de coton.

Mais au-delà des sentiments que l'esclavage nous inspire, il faut se rappeler que nous sommes très mal placés pour juger nos aïeux : issus d'une culture qui a été chamboulée par de nombreux événements historiques, rappelons que notre vision actuelle des chose, c'est la logique que vainqueur a imposé, et qui progressivement, a acquis sa légitimité dans nos esprits. Petit parallèle historique : la France n'a aboli l'esclavage que bien après l'Union : il faut attendre un décret décembre 1905 pour que l'esclavage qui persistait sous des formes camouflées et tolérées depuis 1848 dans les colonies Africaines soit définitivement interdit - et son application a encore pris quelques temps !

Evitons de regarder de haut des sudistes qui défendaient leur intérêt, certes, au dépens des esclaves - et je me réjouis que le Nord ait pu apporter la liberté à la population noire (quoique les nordistes ne traitèrent pas forcément les noirs avec beaucoup plus de dignité, mais c'est un autre débat), en cherchant à imposer au Sud un modèle économique nouveau -, parce que nous sommes culturellement conditionnés à ne pas aimer les esclavagistes.

Il reste que ce film n'est pas un film d'amour, nous sommes d'accord là-dessus. C'est un film sur la désillusion de la défaite. Malgré tous ses efforts, Scarlett O'hara n'arrivera jamais à ses fins. Elle épousera deux hommes (jamais celui qu'elle souhaite), deviendra riche en exploitant des bagnards pour faire marcher une scierie, deviendra une femme d'affaires, cruelle et rapace. Rien à faire : elle demeurera toujours, cette éternelle demoiselle insatisfaite qui ne peut pas avoir le seule chose qu'elle désire vraiment : le beau Ashley pour elle toute seule.

Scarlett n'est bien sûr qu'une personnification de la défaite de la Géorgie, une personnification de la désillusion des sudistes vaincus. Elle sert de canal au récit du film celui du traumatisme de la défaite.

Et il est intéressant de voir que moins Scarlett ne parvient à ses fins, plus elle se durcit, plus elle devient dure, cruelle, et antipathique à nos yeux.

Je ne vais pas reprendre ici toutes les étapes de ta chronique, cher Durendal, mais m'arrêter sur quelques points de la deuxième partie :

En apéritif, ta réaction à propos de « Sherman ! » m'étonne un peu, puisque c'est un film sur l'histoire de la guerre de Sécession américaine. Nous faisons me semble t-il de même en France à propos des guerres napoléoniennes, et lorsqu'on cite Victor Hugo s'exclamant : « c'était Blücher ! »...

Je suis d'accord avec pas mal de choses que tu dis ensuite, j'aimerais juste revenir sur deux points :
Le premier, c'est la manière dont les nordistes sont présentés : le film ne présente pas les nordistes (individuellement) comme des méchants : la scène où on les voit jouer aux cartes ne montrent pas des êtres particulièrement vicieux, ce sont des personnes qui s'occupent durant un siège, avec une activité qui n'est pas violente en soi.

Plus tard, lorsque la réunion du KKK aura été éventé, les soldats nordistes qui viennent à la maison des femmes sudistes restent courtois ; ils frappent avant d'entrer (il y a même un suspens un peu ridicule à ce moment-là), et restent polis pendant tout le dialogue. Politesse des vainqueurs en pays conquis, sans doute, ce qui les rend odieux et insupportables à leurs hôtes, mais objectivement, on ne peut nier que l'hostilité vient du côté des personnages sudistes.
On assiste d'ailleurs là à une scène curieuse et intéressante : la scène est typiquement celle d'un sudiste qui cherche à montrer sa bonne foi, non pas en faisant du vainqueur un monstre, mais en insistant sur ce qu'il ressent face à cette invasion (invasion de la maison par les soldats nordistes comme invasion du territoire par l'Union).

A un moment, (vers le début de la seconde vidéo) j'ai retenu ce que tu disais par rapport au fait que les sudistes avaient voulu la guerre et qu'ils devaient l'assumer : il me semble alors que tu te places du point de vue du vainqueur, c'est une position facile. 

Il est vrai que la Confédération a voulu cette guerre, mais on peut dire la même chose des Etats-Unis qui ont voulu la guerre d'indépendance Américaine de 1775, ou de la guerre de 14-18 en France ( : je profite d'ailleurs de l'occasion pour m'inscrire en faux contre les hypocrisies qui veulent que cette guerre n'était pas voulue, alors que toute la littérature populaire Française de l'époque exprimait son désir de revanche sur la défaite de 1870 ! Il serait bien miraculeux que seuls nos gouvernants de l'époque aient échappé à cette esprit de la revanche..! Nous oublions souvent que nous aimons nous donner le beau rôle nous aussi, et que, comme le dit Erasme : « car quel est celui qui ne regarde pas sa cause comme la bonne ? » (propos attribué à Erasme par Stefan Zweig. dans sa biographie)

En conclusion, j'en viens à un passage de ta vidéo qui m'a beaucoup marqué : l'épisode de l'esclave affranchi qui s'exclame : « A muuule !? »
Il est vrai qu'il s'agit d'une représentation caricaturale qui a tout lieu de t'énerver, je le comprends. Mais il s'agit d'une caricature d'une réaction qui est historiquement véridique.
Les Sudistes se sont effectivement beaucoup moqué des noirs qui étaient plus intéressés par une mule que par une terre.

Il faut se rappeler que les noirs fraîchement affranchis, découvraient pour la première fois de leur vie la jouissance du droit de propriété : les esclaves ne pouvaient rien posséder. La terre, ils la travaillaient cependant tous les jours.

Annoncer à un esclave affranchi qu'on lui offre une terre, c'est proclamer qu'on se moque de lui : pour lui, la terre est synonyme de travail éprouvant.

A côté de çà, l'esclave n'a jamais pu posséder de bête de somme. Quand on devait transporter des sacs de coton jusqu'à une grange, l'esclave le portait sur son dos.
La mule représente pour lui non pas un surcroît de travail, mais au contraire une diminution de sa charge de labeur, parce que la mule va transporter le sac de coton à la place du dos de l'ancien esclave.

Il n'est donc guère étonnant que le noir affranchi soit plus émerveillé par l'idée de posséder une mule qu'un lopin de terre.

C'était une réaction courante à l'époque, et les sudistes, effectivement, ne se sont pas privés d'y voir une idiotie et de s'en moquer, parce que comme toi, ils ne comprenaient pas ce que pouvait représenter la possession d'une mule pour un noir affranchi.

Voilà, j'espère ne pas avoir dit trop d'âneries, il est possible aussi que je me trompe dans mon interprétation. Ceci dit, AELV est loin d'être dans mes films favoris, je ne suis donc pas mécontent d'avoir eu, avec tes vidéos, quelques arguments pour le critiquer aussi.

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